La Manufacture de faïences de Liège.
Projet de restauration par Clara de Bona, étudiante en conservation-restauration à ESA Saint-Luc Liège (travail de fin d'études présenté en 2022)
Historique de la manufacture de faïences de Liège
De nombreuses manufactures de faïences se développent au XVIIIème siècle en Europe. Liège connaît également l’implantation d’une telle industrie sur son territoire. La manufacture est créée dans le quartier Coronmeuse, à la limite de Herstal, en 1767 par deux Français, Nicolas Gauron, modeleur de porcelaine tendre, et François Lefébure, bourgeois. Ils lancent la fabrication de faïence à émail stannifère, de la céramique à pâte colorée recouverte d’un émail blanc à base d’étain. Cette première production est controversée. En effet, certains documents laissent penser que tous les produits issus de la manufacture ne sont pas produits dans les locaux.
En 1770, Gauron quitte la manufacture. Lefébure demande alors au Lillois Joseph Boussemart de devenir son associé dans la manufacture. Joseph Boussemart possède les connaissances nécessaires au développement de la production. En effet, il est le fils du directeur d’une des manufactures de faïences lilloises. La collaboration entre les deux hommes s’arrêtera une année plus tard, après le départ de François Lefébure en 1771.
Dès lors, Boussemart se retrouve seul à la tête de la fabrique. Cette dernière connaît des problèmes financiers et les dirigeants liégeois ne désirent plus y investir. L’entreprise devient donc une société anonyme en 1772, soutenue par des actionnaires. Le site d’implantation change. Les locaux de Coronmeuse sont délaissés au profit d’une nouvelle fabrique dans le quartier voisin de Saint-Léonard.
Joseph Boussemart continuera de développer la production de céramique, notamment en réalisant de la faïence fine à partir de 1782 (faïence à pâte blanche recouverte d’une glaçure transparente). Il restera directeur de la société jusqu’en 1786, date à laquelle il rédige son manuscrit. Cet écrit est réalisé en deux exemplaires et reprend tous les procédés de fabrication mis en place dans la manufacture.
Après 1786, la fabrique est dirigée par Thomas Cambresier. En 1802, Vaust-Aîné reprend le poste de directeur jusqu’à la fermeture définitive le 8 janvier 1811. Sous la direction de ces deux hommes, la production continue, mais perd en qualité.
En définitive, la manufacture liégeoise aura essentiellement produit de la faïence fine et de la faïence à émail stannifère.
Procédés de fabrication
Au XVIIIème siècle, il existe plusieurs méthodes de production dans les manufactures de faïences. Grâce au manuscrit de Boussemart, on connaît celles employées dans la fabrique liégeoise. Plusieurs étapes sont nécessaires à la réalisation complète d’une pièce.
La première étape de réalisation est le façonnage. Il consiste à donner la forme de l’objet voulu à la pâte. La technique la plus utilisée est le tournage. La pâte est posée au centre d’un disque qui est mis en mouvement rotatif par l’ouvrier tourneur. La forme obtenue peut être affinée grâce au calibrage. Il consiste à racler la surface de l’objet au moyen d’une lamelle métallique qui a une forme donnée.
L’habillage d’un moule est également utilisé. Il existe trois déclinaisons de ce procédé : à la balle, à la croûte ou à la housse.
L’habillage à la balle consiste à écraser de petites balles de pâte dans le moule afin de lui donner forme. Pour la technique de la croûte, une plaque de pâte est pressée dans un moule au moyen d’un contre-moule. Enfin, l’habillage à la housse est un compromis entre le tournage et le moulage. L’ouvrier vient directement tourner la pâte dans le moule.
Une fois la forme globale donnée, les détails (reliefs, moyens de préhension…) sont ajoutés avant de mettre la pièce au séchage. Une fois séchée, elle passe au four pour une première cuisson aux alentours de 950 °C. Le produit qui en ressort se nomme dégourdi.
Ce n’est qu’après cette cuisson que la pièce va être décorée et recevoir son émail ou glaçure. Elle subit ensuite une seconde cuisson (dite de « grand feu ») entre 900 et 1000 °C selon les émaux utilisés. Dans certains cas, il est nécessaire de réaliser une troisième cuisson (dite de « petit feu ») à plus basse température (700 °C) afin d’utiliser des couleurs qui ne supportent pas les grandes températures, tel que le rouge.
Défauts de fabrication
Dans la fabrication d’une pièce de faïence, tout ne se déroule pas toujours comme prévu. Il peut y avoir des problèmes qui mènent à des défauts qui empêchent la commercialisation des pièces. Ces objets imparfaits sont appelés rebuts de cuisson.
Les problèmes sont de natures diverses. On peut citer les surcuissons, lorsque la température du four monte plus haut que ce que la pâte ou l’émail peut supporter. La pièce va alors fondre et s’affaisser sur elle-même. Si l’émail est déjà appliqué, il va « bouillir » comme de l’eau et créer des bouillons.
Un autre défaut est la déformation des pièces. Il provient de mauvaises conditions de séchage, par exemple, un carreau qui n’a pas été maintenu à plat lors de cette étape.
Certaines pièces montrent des retraits d’émail. Cela arrive lorsque l’émail est posé sur une pâte qui n’a pas été bien nettoyée. La poussière et la graisse empêchent l’émail de s’accrocher à la faïence.
Enfin, lors de la dernière cuisson, une fois l’émail et le décor posés, si les pièces ne sont pas bien séparées dans le four, elles peuvent fusionner entre elles lors de la montée de température et de la fonte de l’émail.
Il existe d’autres défauts que ceux précédemment cités. Ils peuvent être dus au manque de pureté des ingrédients utilisés dans les préparations, à un séchage trop rapide des pièces ou encore à des couleurs fragiles.
Bien que ces pièces ne puissent être vendues, elles ne sont pas inutiles pour autant. Dans un souci d’économie, les faïenciers peuvent gratter l’émail pour réaliser de nouvelles préparations ou les récupérer afin de s’en servir comme échantillons. Ils réalisent dessus des tests de couleurs ainsi que des dessins. Dans certains cas, on peut même y retrouver des dessins fantaisistes, réalisés dans le temps libre d’un ouvrier.
Fonds Breuer
Les céramiques présentées sont issues de fouilles menées en 1922 et 1926 sur les quais Coronmeuse par Jacques Breuer. Ce lot est principalement composé de rebuts de cuisson issus de la manufacture locale. Il contient également des tessons d’autres fabriques tels que des grès, de la faïence rouge, des pipes… En tout, il regroupe plusieurs milliers de fragments. Par leur proximité avec les deux implantations de la manufacture liégeoise et la qualité des rebuts, on peut lui attribuer la production de la majorité du lot.
Les tessons sont datés par Émile Gadeyne comme ayant été produits entre 1794 et 1805. Il est possible de donner ces dates en fonction des travaux qui ont été entrepris sur les quais à cette époque (démolition du prieuré Saint-Léonard, installation de la fonderie à canons de Napoléon et de l’usine de zinc Dony).
Le Fonds sera étudié une première fois 1951 par Émile Gadeyne qui en rédige une monographie. Malheureusement, sa mort prématurée ne lui a pas permis de finir son travail. Celui-ci reste un des seuls travaux réalisés sur la manufacture locale.
Une source à ne pas négliger est le manuscrit écrit par Joseph Boussemart. Il est, non seulement, important pour comprendre la production liégeoise, mais aussi pour appréhender la fabrication de la céramique au XVIIIème siècle. Un témoignage de ce type, dans lequel un directeur de manufacture livre ses secrets, reste rare.
Conservation-restauration
Les tessons sont restés des décennies sous terre. Cela les a détériorés de différentes manières. Ces altérations sont présentes sous différentes formes et sont présentes sur de nombreux tessons. Bien qu’un premier nettoyage eût déjà été entamé au milieu du XXème siècle, les fragments n’ont pas tous été traités.
Parmi les altérations que l’on retrouve le plus souvent, il y a un encrassement de surface. L’enfouissement sous terre a également provoqué l’absorption de sels par les pâtes poreuses. Parfois, la proximité avec des métaux corrodés a entraîné des dépôts de rouille sur les tessons. Dans d’autres cas, des micro-organismes se sont développés dans ce milieu humide (moisissures). Les pâtes et émaux ont également perdu de leur unité, devenant friables.
Il faut traiter ces altérations, mais au vu de la quantité de tessons, il n’est pas possible de tous les nettoyer correctement. Il faut faire un compromis entre l’état sanitaire et les moyens disponibles. De plus, tous les fragments ne sont pas à nettoyer, une partie d’entre eux possède des décors et émaux crus qu’il est préférable de conserver afin de réaliser des analyses si besoin.
Le traitement de base proposé est un simple nettoyage à l’eau. Dans le cas où l’émail est fragile (écaillage ou irisation), une fixation est réalisée. Des dessalements sont entrepris lorsque les dépôts salins sont importants et nuisent à la lisibilité du décor. Enfin, certains tessons peuvent s’assembler.
Bien entendu, il faut garder des traces de toutes ces opérations et s’organiser afin d’être le plus efficace possible. L’inventaire des tessons est dressé ainsi qu’un constat d’état sommaire. Les anciennes et nouvelles informations sont regroupées (description d’Émile Gadeyne, photographies, notes, localisation) lors de l’inventoriage. Les tessons sont ensuite marqués d’un numéro d’inventaire.